En Même Temps
Mille Plateaux

Mille Plateaux
Pour ne citer que la culture occidentale de ces derniers siècles, on voit que les spectacles qui exaltent « l’Esprit de corps » s’y multiplient. Au 19ème siècle, les opérettes, opéras et ballets intègrent les « Ballabile », grand final où les solistes, interdits de solo, doivent exécuter la même partition que le corps de ballet. Au début du 20ème en Russie, les Balli-Grandi sont des ensembles dansés de plus en plus monumentaux, de grandes fresques humaines pensées pour exalter le gigantisme industriel et la force positive du travail.
Les Extravaganza des années 1920 rassemblent des armées de girls balançant leurs jambes alignées, des nageuses synchronisées, des couples tournoyant dans des escaliers fleurs chorégraphiés par Busby Berkelley.
Mais l’exemple le plus troublant reste la manière dont les pionniers de la danse moderne, Rudolf von Laban, Mary Wigman, ceux-la même qui avaient prôné la « culture festive », l’idéalisme communautaire et partagé l’expérience libertaire de Monte Vérita dérapèrent au nom de ces mêmes idées jusqu’à orchestrer la cérémonie d’ouverture des JO de Berlin en 1936, aux ordres du régime nazi. Car les pouvoirs politiques, financiers, religieux ont toujours compris ce qu’ils pouvaient tirer de ce mode de dressage des corps et de la puissance d’adhésion que génère la synchronicité du groupe.
Avec le développement des médias, les shows télévisés, les clips, les flash mob, les danses à l’unisson occupent l’écran…
Aujourd’hui, il s’agit plutôt de démultiplication exponentielle, de clonage, de croissance cellulaire de l’image, plaçant plus que jamais notre œil en état de sidération, docile au plaisir du même.
Grâce à internet, les danses deviennent virales et se diffractent à l’infini sur toute la planète. À cela s’ajoute la frontalité générée par l’écran et l’effet selfie qui y règne en maître.
L’unisson est entré dans l’ère 2.0, l’ère du « Mème »
Dans Foules, pièce participative, pour 100 personnes, qui se proposait de traverser un catalogue de situations sans forcément les ordonner dramaturgiquement, je m’étais fixé l’enjeu d’une partition sans unisson, entièrement conçue sur le mode de la contamination et du contretemps. Je tente ici le pari inverse. Un défi chorégraphique qui m’excite justement parce que je l’ai toujours fui.
Je m’autorise en revanche, tous les registres, depuis la puissance comique de l’obsession synchronisée jusqu’à sa valeur poétique et sublime.
L’enjeu sera de tenir l’unisson, de le tenir jusqu’à ce qu’il craque de lui-même et se délite, par KO.
Olivia Grandville.